Comment est née l’association Ladies’ Turn ?
J’ai une amie américaine qui était là lors des Navétanes* pendant les vacances scolaires.
Elle a réalisé que tous les garçons jouaient, mais pas les filles, contrairement aux Etats-Unis. Elle avait beaucoup joué dans son enfance. Donc elle est rentrée et l’Etat lui a donné 10 000 dollars. Elle est revenue au Sénégal et elle a créé un projet : un tournoi de un an pour les filles dans les quartiers. A la fin du tournoi, il y a eu une telle couverture médiatique, avec un impact énorme, que le championnat a repris.
On était alors toute une bande d’amis et nous nous sommes dits : pourquoi ne pas créer une association et continuer cette activité ?
Mais comment ? Avec quel argent ? On s’est dit que cela nous était égal, qu’on allait créer l’association et qu’on se donnerait le temps qu’il faudrait.
Depuis, tous les 2 ans, nous organisons un tournoi. C’est comme cela qu’est née Ladies’ Turn. Depuis, nous n’avons pas arrêté. Nous avons eu une aide de l’ambassade des Etats-Unis, qui nous a donné 1000 ballons, une aide financière et une implication dans le tournoi. L’ambassadrice était avec nous dans les rues de Dakar. C’était énorme pour nous.
Comment Ladies’ Turn agit-elle pour l’égalité femmes-hommes ?
En jouant sur les terrains de quartiers sur lesquels il était auparavant impensable que les filles jouent. Le fait d’aller sur ces terrains, cela a ouvert l’esprit des garçons, et cela leur a fait comprendre que le terrain appartient à tous.
Au début, le projet Ladies’ Turn était difficile mais dès lors que les garçons se sont impliqués, nous ont soutenus et accompagnés, tout a évolué, tout allait mieux.
On a besoin des hommes et des femmes pour faire évoluer le football féminin. On a besoin de tous, chacun a ses compétences. Il faut conjuguer les efforts.
Vous avez choisi, pour atteindre vos objectifs, de miser sur la pratique dans les quartiers. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Lorsque nous avons organisé le tournoi en 2009, 2011 et 2013, on s’est rendu compte que les filles arrêtaient l’école très tôt pour le football. Pour la plupart, elles habitaient loin et n’arrivaient pas à allier les 2. Elles choisissaient donc le football. Si je n’avais pas eu un père qui m’avait poussée vers l’école, j’aurais arrêté aussi. Le foot était en moi. Mais mon père me disait : « pas de foot sans études ».
Alors on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. Nous avons organisé un tournoi au niveau des écoles à partir de 2015. Ladies’ Turn devait alors se faire dans les murs de l’école pour montrer que c’est bien de jouer au football, mais que c’est aussi très important de faire des études.
Remarquez-vous une hausse des participantes au fil des années ?
Oui, aujourd’hui nous n’avons plus le même modèle. On a appris de ce qu’on a fait précédemment pour voir comment on pouvait impacter et aider les filles. Il y a celles qui veulent jouer et celles qui n’ont plus d’activité : comment les aider à s’insérer dans la société ? On a alors fait un projet avec British Council et la Premier League.
On a formé des entraineures : 36 coachs femmes. Suite à notre évaluation, nous avons jugé nécessaire de faire un second stage pour renforcer ce que nous avions fait précédemment. On a eu 24 filles et on a demandé à chacune de faire un programme communautaire pour leur permettre de pas perdre les compétences acquises. On est allé un peu partout au Sénégal : les filles assistaient à des programmes de sensibilisation sur le paludisme, les mariages et les grossesses précoces, les violences basées sur le genre, etc. L’objectif était de faire sentir à ces filles qu’elles ne faisaient pas que du foot et pouvaient aussi servir à leur communauté. A la fin de chaque stage, on finissait par un tournoi.
Ensuite, nous avons suggéré à chaque fille de créer une équipe. Rien que dans la région de Dakar, trois filles ont une équipe féminine et d’autres ont des équipes mixtes. On continue à les aider à progresser dans ce qu’elles font.
En 2016, avec l’ambassade du Canada nous avons organisé un tournoi régional au niveau de Dakar et invité plusieurs équipes de plusieurs villes. On a passé 3 jours ensemble à faire des activités de football et de leadership.
Et aujourd’hui, quelle est la pratique féminine du football au Sénégal ?
Cela a beaucoup évolué. Aujourd’hui, presque toutes les régions (11/14) du Sénégal ont au moins une équipe féminine. Nous avons un championnat national à deux niveaux : une première division et une deuxième division.
Cette avancée énorme s’est faite à partir de 2002. C’est à cette période-là que la première équipe nationale a été créée et pour laquelle j’ai été capitaine. On ne cesse de progresser. Il reste beaucoup à faire mais on va y arriver. J’y crois et j’y croirai encore.
Au-delà du football au sein des quartiers, quels sont pour vous les principaux moyens pour étendre la pratique féminine du football au Sénégal ?
L’école.
L’école, c’est le grenier du sport. Il n’y a pas un meilleur endroit pour massifier le football pour les filles. Si on réussit ce pari, je pense qu’on peut dormir tranquille car on saura qu’il y a une relève.
Pouvez-vous nous parler de votre rôle au sein de la Fédération Sénégalaise de Football ?
Je suis une élue du membre du comité exécutif de la Fédération Sénégalaise de Football : j’ai été désignée comme présidente de la commission du football féminin. Il y a des clubs qui sont affiliés et ces clubs participent au niveau du championnat.
Nous avons aussi la Coupe du Sénégal : les compétitions sont entièrement financées par la Fédération Sénégalaise de Football. Chaque année, la Fédération Sénégalaise de Football donne une subvention aux équipes. En plus de cela, elle prend en charge tout ce qui est transport des équipes pour les championnats. Mon objectif c’est de dépasser cela et aller de l’avant. Essayer de faire l’impossible.
Quels sont les objectifs proches pour Ladies’ Turn ?
Plus d’infos sur : http://www.ladiesturn.org/.
*Navétanes : il s’agit de championnats interquartiers de football organisés par les associations sportives et culturelles , durant les vacances d’hivernage au Sénégal.
Sport & Développement est un programme de l’ONG La Guilde, soutenu par l’Agence française de développement.
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