Ça n’a pas toujours été le cas : le sport est aujourd’hui considéré comme un outil majeur pour l’atteinte des Objectifs de développement durable. À la veille de la journée mondiale du sport pour le développement et la paix, retour sur une émergence teintée d’évidence avec Auriane Buridard, en charge du programme Sport & Développement à La Guilde.
« Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble »
Depuis juillet 2021, le triptyque formant la devise des Jeux olympiques (Citius, Altius, Fortius) a officiellement été complété d’une quatrième notion (Communiter). Une valeur évoquant davantage la coopération que la compétition, et un ajout marqueur d’une époque. Car si le Comité international olympique souhaite voir les sportifs avancer ensemble – au point de l’affirmer au fronton de ses Jeux historiques –, c’est aussi pour accompagner une tendance forte depuis deux décennies.
Ainsi le 25 septembre 2015 : ce jour-là, les 193 États membres des Nations Unies adoptent la résolution 70/1. Son titre ? « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Ce sont les 17 Objectifs de développement durable (ODD) devant orienter la marche du monde, à la suite des Objectifs du millénaire pour le développement de 2000. Ces derniers avaient légitimé le sport comme « un outil économique et souple » d’un « immense potentiel », selon l’onusien Wilfried Lemke. En 2015, la place du sport est consacrée dans la résolution 70/1 : « Le sport est lui aussi un élément important du développement durable, est-il écrit. Nous apprécions sa contribution croissante au développement et à la paix par la tolérance et le respect qu’il préconise ; à l’autonomisation des femmes et des jeunes, de l’individu et de la collectivité ; et à la réalisation des objectifs de santé, d’éducation et d’inclusion sociale. » Reste à embrayer.
Lire France Football, agir en profondeur
« Après les annonces de 2015, le plan Kazan de l’UNESCO en 2017 a dressé une feuille de route, retrace Auriane Buridard, en charge du programme Sport & Développement à La Guilde. En France, cela s’est traduit en 2018 par l’annonce du Président Macron, avec le Président du Libéria et ancien Ballon d’or George Weah, de travailler sur le sport pour le développement en Afrique. La dynamique a ensuite été appliquée par l’Agence française de développement, avec différents partenaires impliqués sur différents domaines et la création de la plateforme Sport en Commun. Le domaine de La Guilde, à travers son pôle Microprojets, est le sport de proximité. »
En 2018, pendant qu’Emmanuel Macron fustige les « gens qui pensent que (le sport) c’est anecdotique (…) c’est pour regarder Téléfoot et lire France Football », Auriane est en mission de Service civique au Vietnam, auprès de Poussières de Vie. Là-bas, elle lance des programmes sportifs à destination d’enfants issus de minorités ethniques et défavorisés. Et confirme ses intuitions : « tu peux tout de suite voir les effets du sport sur les pratiquants ! Mais il faut du temps pour une action en profondeur ». À son retour de mission en 2019, le lancement du programme Sport & Développement tombe comme une évidence. Actions, temps, effets : tout est réuni.
Fleurets mouchetés et graines germées
Trois ans plus tard, les mondes du sport et du développement apprennent à toujours mieux se connaître. La Guilde et ses partenaires ont financé 87 associations entre 2019 et 2021, à travers les différents appels à projets lancés. « Chaque projet doit identifier les ODD ciblés », précise Auriane Buridard. En 2020, un projet répond en moyenne à quatre ODD. Bonne santé et bien-être (ODD 3), égalité entre les sexes (ODD 5), éducation de qualité (ODD 4) et inégalités réduites (ODD 10) sont les objectifs les plus poursuivis. Tout juste de retour de mission au Sénégal, Auriane rapporte avec elle des illustrations rafraichissantes.
« Pour le Sourire d’un Enfant est un bel exemple. Cela fait 30 ans qu’ils sont sur le terrain, ils ont développé des méthodologies novatrices et efficaces. Comme le programme « escrime et justice réparatrice », dans les prisons de Thiès ou Diourbel, pour préparer la réinsertion des jeunes en détention ». À l’horizon, les Objectifs 3 (santé et bien-être), 10 (inégalités réduites) et 5 (égalité entre les sexes) sont en vue. « L’escrime est un outil particulièrement adapté : c’est physique mais le fleuret est souple et non agressif, on est habillé d’une tenue blanche, couleur symbolique au Sénégal, le masque permet de passer au-delà de la personne, la main levée pour signaler une touche implique une maîtrise des émotions… » Alors, répétées, encadrées et valorisées, ces touches pourront faire émerger des lendemains plus sereins, pour une jeunesse jusque-là mal embarquée.
Autre exemple ? « Mediaquart’ et Seed RISE ! » Soit l’accès à des entraînements de basket qui se poursuivent avec des ateliers et des débats, mais aussi la gestion d’un jardin permacole à Kalolack. Là, entre jeu et expression collective, entre maraichage et gestion des récoltes, des pas vers les Objectifs 4 (éducation de qualité), 12 (consommation et production responsables) et 15 (vie terrestre) sont esquissés. « Le basket, le sport constituent une belle porte d’entrée, c’est flagrant, souligne Auriane, des tonnes d’exemple dans les yeux. Le terrain de sport et le jardin sont ouverts à tous, écoliers et jeunes du quartier. L’école devient le lieu d’une éducation accessible, différente. Sur le terrain, tout le monde doit respecter les règles et l’autre ; dans le jardin, le travail de chacun et chacune va permettre la récolte. Les ponts symboliques et pratiques sont nombreux. C’est vraiment le pouvoir du sport : proposer un langage universel, fédérateur et égalitaire ».
Encadrer, compter, durer
Reste que les médailles ont leur revers et que, mal utilisé, le sport peut faire des dégâts. « Le sport reste le reflet d’une société. Tu peux y retrouver tout ce qui ce qui abîme, les violences, les discriminations, la triche. Le sport ne se suffit pas forcément en lui-même. Il faut l’utiliser avec méthode ». Soit précisément un enjeu des années à venir. Car si voir les sourires naître est immédiat, le risque est qu’ils ne soient qu’éphémères. Et les impacts à long terme sont plus difficiles à appréhender : « comment mesurer des notions comme la hausse de l’estime de soi, le leadership, le développement de la mixité ou l’insertion professionnelle en lien avec le sport ? s’interroge Auriane. Aujourd’hui, c’est un travail. Après trois ans d’expérience, on peut lancer ce chantier de capitalisation. Pour, à terme, mettre en place des outils de mesure ».
Pour mener à bien cette ambition, les acteurs du développement par le sport pourront peut-être s’appuyer sur les professionnels du sport qui cherchent, eux, à intégrer du développement dans leur activité. C’est l’autre jambe de l’attelage sport et développement : que les locomotives – champions et grands évènements – soient moteurs dans la réalisation des Objectifs de développement durable. Avec des moyens d’action considérables, les résultats peuvent être spectaculaires. En France, les Jeux de Paris 2024 s’engagent ainsi à « léguer un héritage durable », pour que les Jeux puissent bénéficier à l’ensemble de la société. Transformer les annonces en actions, voilà désormais le défi des équipes de Tony Estanguet, au Comité d’organisation des JOP de Paris 2024. Pour que la capacité à faire savoir des uns s’accompagne du savoir-faire des autres et que raison soit finalement donnée à Nelson Mandela, qui le clamait en 2000 :« le sport a le pouvoir de changer le monde ».
Propos d’Auriane Buridard recueillis par Eric Carpentier