S&D : Comment est née AKHIAM ?
En 1990, la première vague importante de jeunes (plus ou moins 20 jeunes) d’origine de la vallée d’IMILCHIL est arrivée dans les universités marocaines. Auparavant, les conditions économiques et l’enclavement de la région entraînaient l’arrêt du processus scolaire des jeunes de la vallée au collège. Pour assurer les conditions minimum permettant de suivre les études universitaires, ces jeunes ont initié des règles de solidarités telles que l’accueil gratuit des étudiants qui ne bénéficiaient pas de bourse. Cette première génération a fait ses études en étant logée en groupe dans des chambres de 9m². En 2000, ces jeunes sont pour la plupart retournés aux villages après avoir obtenu leurs diplômes, mais n’ayant pas trouvé d’emploi ! En mars 2020, l’association AKHIAM a été créée par ces mêmes jeunes. Le but est de mettre en place des projets de développement durable en accompagnant les villageois à la création d’emplois, au plaidoyer auprès des services publics et à la recherche de partenaires.
S&D : Quelle a été l’origine du partenariat entre SENS et AKHIAM ?
L’association SENS est le partenaire privilégié d’AKHIAM depuis 2004. Les présidents de SENS et d’AKHIAM se sont rencontrés à Rabat en août 2004, dans le cadre d’une mission d’identification de partenaires qui serviraient pour la mise en place d’un circuit solidaire et d’un chantier de jeunes, « Grain de Sable ».
Depuis 2006, 14 chantiers ont eu lieu sur différentes thématiques, de la santé à l’environnement en passant par la scolarisation. Les séjours organisés auprès d’AKHIAM sont un dispositif idéal pour les jeunes en difficulté car ils contribuent au changement de comportements des jeunes ainsi qu’à la promotion de l’éducation au développement. Plusieurs initiatives ont été soutenues notamment dans la lutte contre l’érosion, la création et la formation de coopératives, la promotion du tourisme responsable et la mise en valeur des potentialités de la vallée d’IMILCHIL.
Le partenariat entre SENS et AKHIAM se résume par l’échange Nord-Sud entre les jeunes, la professionnalisation du travail associatif d’AKHIAM et le soutien technique et financier. Ce partenariat constitue un modèle de soutien et d’échange réciproque Nord –Sud au sein duquel chaque partie est indispensable pour le développement de l’autre.
S&D : Ensemble, vous êtes lauréats S&D – Hiver 2020 du projet « Le sport au service du développement et de la lutte contre les dérives des jeunes (drogue et radicalisation) ».
S&D : Dans quel contexte ce projet s’inscrit-il ?
Le projet s’inscrit dans une dynamique d’accompagnement des jeunes d’une part à l’insertion professionnelle, et, d’autre part, à la sensibilisation des jeunes à la citoyenneté.
Le projet s’intègre parfaitement dans le chantier d’avenir que AKHIAM et SENS souhaitent conduire avec d’autres partenaires :
– INDH : un dispositif financier de l’état marocain visant le soutien des jeunes ruraux à la création d’activités entrepreneuriales pour lequel AKHIAM est un acteur impliqué.
– NED : un dispositif de financement américain visant la formation et la sensibilisation des jeunes à la citoyenneté.
Ces actions complémentaires permettront d’apporter une réponse à la propagation du chômage, du décrochage scolaire et au manque d’installations sportives et de gymnases qui se traduisent chez les jeunes par l’émergence de phénomènes de toxicomanie, un mécontentement à l’égard des politiques gouvernementales et l’influence de certains groupes religieux extrémistes sur les réseaux sociaux.
S&D : Quels sont les objectifs et les principales activités que vous souhaitez mettre en place pour les atteindre ?
A travers ces trois projets complémentaires, nous souhaitons atteindre les objectifs suivants :
Pour mener à bien ce programme, l’association compte mettre en place les activités suivantes :
S&D : Quel est le quotidien des filles et des femmes dans les 10 villages ciblés ?
Faute des traditions culturelles liées notamment aux conditions économiques de la vallée, les filles de la vallée d’IMILCHIL sont victimes des mariages précoces, très ancrés dans la culture locale.
Même avec les dernières lois marocaines visant à interdire les mariages des filles moins de 18 ans, les statistiques montrent que 50% des filles d’IMILCHIL se marient entre 16 et 17 ans, en faisant appel à des attestations médicales pour justifier la majorité sexuelle des filles.
Devant de telles conditions, toutes les familles préparent leurs filles dès le petit âge aux activités ménagères et à la prise éminente des responsabilités de femme au foyer.
Depuis la construction de collège et lycée dans la vallée d’IMILCHIL, plusieurs filles ont accès à la scolarisation, ce qui engendre un changement des comportements, qui commence à se sentir sur plusieurs niveaux tels que l’âge des mariages, les activités des filles et des femmes, etc.
Autrement, le quotidien de la femme d’IMILCHIL se résume à la cuisine, à la recherche de bois de chauffage, au travail dans les champs, à l’éducation des enfants… un programme très chargé 7j/7, 16h par jour. Ces activités sont domestiques et non rémunérées.
S&D : Quelle est la place du sport dans la vie des femmes et des filles dans le Haut-Atlas Oriental ?
En dehors des sciences de sports dans les établissements scolaires, les femmes d’IMILCHIL ne pratiquent aucun sport. Surprise, l’année dernière, les filles d’une commune d’IMILCHIL ont réussi à s’imposer dans la compétition régionale de football ! Cette expérience peut donner un départ à la pratique de sport en dehors des établissements scolaires.
S&D : Pour l’instant, votre projet ne permet pas la mixité. Pouvez-vous expliquer plus précisément les freins à cette mixité ?
La mixité en soit se pratique facilement dans les activités locales et la vallée est très connue par son ouverture d’esprit (voir Les fiancés d’Imilchil ici).
Le frein de l’intégration de la femme dans le projet sportif est dû :
S&D : Malgré cela, vous avez la volonté d’aller dans le sens de l’accessibilité du sport pour les filles.
Pour atteindre cet objectif, l’association AKHIAM est engagé avec ses partenaires sur les différents domaines :
Avec l’aménagement des terrains dans le cadre de projet Sport & Développement, nous souhaitons accompagner des jeunes garçons et, prochainement, des filles également.
S&D : Mohamed Zani, vous êtes le chef de projet sur place et avez suivi la formation « Intégration du genre dans les projets de sport », proposée par Sport & Développement à ses lauréats.
C’est une formation riche dans son contenu. Les échanges d’expériences entre les participants des autres associations dans différents pays me semblent également très constructifs. La formation m’a permis de bien comprendre le volet sport féminin et comment intégrer le genre dans son exécution.
S&D : Quelles méthodes et activités allez-vous utiliser pour permettre la mixité sans aller à l’encontre du contexte local ?
L’éducation physique pour les filles dans les établissements d’enseignement préparatoire et secondaire contribuera à réduire cet écart entre les sexes, à travers l’organisation de matchs et de cours auxquels elles participent, avec la présence de jeunes hommes.
Aussi, l’organisation fréquente de rencontres sportives, de cours pratiques et les tournois au cours desquels des prix sont attribués aux gagnants et en présence du public, feront changer la vision d’une majorité de parents concernant la pratique du sport des filles et entre les genres.
S&D : Quel serait l’impact positif de la mixité sur les 10 villages que vous ciblez ?
La présence des filles et des garçons dans les rencontres sportives en présence de la population encourageront l’adoption de cette approche dans divers domaines sociaux, ce qui améliorera le statut des femmes et des filles dans la vie économique, sociale et éducative des familles de la région.
En outre, adopter cette approche à la maison et dans la vie quotidienne des familles donnera aux filles une plus grande opportunité et une plus grande chance de terminer leurs études et de définir leur avenir par elles-mêmes, loin de la culture du mariage qui prévaut dans la région.
S&D : Quels sont les impacts de la pandémie COVID-19 sur votre projet et comment y faites-vous face ?
L’augmentation en flèche des contaminations de COVID-19 au Maroc a perturbé toutes les activités.
Les autorités imposent des restrictions très sévères pour limiter la circulation du virus. Malgré le fait que la vallée ne soit pas encore touchée, les autorités locales interdisent tout rassemblement, y compris les activités sportives. Toutes les actions d’AKHIAM ont été suspendues. Une réunion en visioconférence est prévue dans les jours qui viennent entre SENS et AKHIAM pour établir un mode d’intervention dans les conditions sanitaires actuelles.
Plus d’infos sur : http://www.associationsens.com/ et sur https://www.akhiam.org/.
Sport & Développement est un programme de l’ONG La Guilde, soutenu par l’Agence française de développement.
Retrouvez-nous très prochainement sur le nouveau site de La Guilde ! |